Ce matin encore, «le monsieur des bouteilles » – nom donné à jeune homme en tenue de travail au volant d’une camionnette – est arrivé. Il vient environ une fois par semaine, un peu plus souvent en été parce qu’il fait chaud et on boit plus. Il ne porte pas de bouteilles pleines, mais retire des bouteilles en plastique vides, écrasées et rassemblées dans cinq grands sacs dans le jardin de la Maison Diocésaine. Il les charge dans son camion et les transporte à l’usine où ils les recyclent.
C’est si important ? Pour nous ici à Alger, oui. La collection des bouteilles en plastique fait partie des activités du Foyer des Jeunes, un centre de rassemblement pour enfants qui se trouve dans un jardin de la Maison Diocésaine. C’est un défi éducatif.
En Algérie, la consommation de plastique est très élevée, surtout les bouteilles et les sacs, qui finissent généralement par terre. Lors de mon premier voyage dans le désert en bus, le passager devant moi a ouvert la fenêtre et jeté la bouteille en plastique qu’il venait à peine de finir de boire. J’ai regardé, étonnée, ma voisine, qui m’a répondu avec un sourire : « Normal, regarde combien il y en a déjà ». Oui, il y en a déjà beaucoup! Comme le dit le Pape François, éduquer à l’alliance entre l’humanité et l’environnement est un défi éducatif.
Et donc, comme chaque défi a différents niveaux, nous commençons par les enfants qui viennent à la Maison Diocésaine pour les diverses activités pendant lesquelles nous expliquons pourquoi nous collectons les bouteilles plastiques, pourquoi il est bon de protéger l’environnement et de prendre soin de la nature. Nous les invitons à faire eux aussi une petite collecte sélective de bouteilles à la maison, qu’ils peuvent ensuite apporter au centre de collecte quand ils viennent pour les activités. Ce ne sont pas seulement nos enfants qui déposent les bouteilles ; de plus en plus des gens viennent, s’informent, reviennent.
Cela semble déjà beaucoup, et pourtant le Pape François nous aide à comprendre qu’encourager des comportements écologiques ne suffit pas. Une véritable éducation doit arriver à faire mûrir des habitudes [211]. « Il est noble d’assumer la tâche d’avoir soin de la création par de petites actions quotidiennes et il est merveilleux que l’éducation soit capable de les motiver jusqu’à donner forme à un style de vie ». Et la même différence qu’il y’a entre faire une bonne et être de bonnes personnes, c’est la pratique répétée de la bonne action qui nous structure par une attitude positive envers les autres, qui nous rend accueillants… qui nous fait aimer nos frères. C’est la pratique répétée de gestes écologiques, d’attention à la création, qui créent en nous une sensibilité écologique, nous disposent à une éthique écologique de solidarité et de responsabilité[210].
Le geste est important, que ce soit recycler le plastique, le verre et le papier, ou réduire la consommation d’eau. Quand le geste devient la manifestation de l’auto-transcendance, de la capacité de sortir de soi-même vers l’autre, quand il devient choix d’un style de vie alternatif, il indique et réalise la possibilité d’un engagement dans la société [208]. L’éducation aide sur ce chemin, du geste individuel au style de vie. Pour ceux-ci, nous invitons les enfants à apporter les bouteilles toutes les semaines, jusqu’à ce que pour eux cela devienne normal, routinier. Et ils sont capables d’impliquer aussi leurs familles, parce que l’éducation ne passe pas nécessairement de l’adulte à l’enfant, mais aussi vice versa. Une mère m’a dit en effet, que son fils a insisté pour mettre un sac dans la maison pour ramasser les bouteilles pour les amener plus facilement au Foyer. Avec franchise, elle a admise n’y avoir jamais pensé!
Éduquer, c’est aussi aider à penser, à être créatif, à laisser émerger l’imagination. Même dans le domaine écologique. En effet, comme dit le Pape François : « en faisant croître les capacités que Dieu a données à chacun, la conversion écologique le conduit à développer sa créativité et son enthousiasme » [220]. Nous avons un jeu où les enfants apprennent les différents procédés de recyclage des matériaux, ils comprennent que le papier, le verre, le plastique ont des systèmes de recyclage différents. Quand, pour avancer dans le jeu, ils doivent donner des exemples de comportement écologiques ou au contraire de non respect de la nature, ils ont des idées brillantes, parfois irréalisables, mais créatives.
Nous sommes allés avec un petit groupe visiter l’usine où on recycle les bouteilles pour en faire un fil utilisé pour confectionner des piles ou des tissus jetables. L’idée était de montrer aux enfants un exemple, de montrer qu’il est possible de recycler, comment on le fait et ce qu’on obtient. Le résultat a été celui d’écouter leurs rêves et de ce qu’on pourrait produire d’autre, la manière et comment on pourrait faire pour réduire le gaspillage.
Certes, la situation est complexe et comme dit le Pape, il ne suffit pas que chacun soit meilleur pour la résoudre. Les problèmes sociaux se résolvent par des réseaux communautaires [219]. Les réseaux communautaires sont toutes des tentatives pour créer des relations, des associations, inviter d’autres à changer de mode de vie. Et généralement, les personnes commencent de manière simple, comme ce fût le cas d’Amina qui, après une conversation par rapport aux bouteilles qu’elle est venue déposer, m’a demandé : « Puis-je le dire à mes amies? » ou encore Susi qui a demandé s’ils peuvent aussi créer un centre de collecte.
L’éducation écologique conduit à créer une citoyenneté écologique [211], à sentir à nouveau que nous avons besoin les uns des autres, que nous avons une responsabilité envers les autres et envers le monde [230]. Ce chapitre de l’encyclique nous invite à éduquer et à nous laisser éduquer par une spiritualité écologique qui passe aussi par le recyclage des bouteilles en plastique.
Sr. Giovanna Magni, Communauté de l’Algérie